CHAPITRE 21

 

 

« Bonté divine, regardez, David ! » Je venais de descendre du taxi sur le quai envahi par la foule. L’énorme masse bleue et blanche du Queen Elizabeth II était bien trop grande pour entrer dans la petite rade. Le paquebot était à l’ancre à un mille ou deux au large – je ne pouvais pas l’estimer avec précision – d’une taille si monstrueuse qu’on aurait dit un vaisseau sorti d’un cauchemar, figé sur les eaux immobiles de la baie. Seules ses rangées superposées de myriades de petits hublots l’empêchaient d’avoir l’air d’être le bateau d’un géant.

La drôle de petite île avec ses collines vertes et son rivage incurvé s’avançait vers le paquebot, comme pour s’efforcer de le rapetisser et de le rapprocher, mais en vain.

En le regardant, je sentis un frisson d’excitation. Je n’étais jamais monté à bord d’un navire moderne. Voilà qui allait être amusant.

Sous nos yeux, une petite chaloupe en bois, arborant son nom peint en grosses lettres sur la coque et ne transportant manifestement qu’un seul contingent de ses nombreux passagers, s’approcha du quai.

« Voilà Jake à la proue du canot, fit David. Venez, entrons dans le café. »

Nous avançâmes sans hâte sous le soleil brûlant, à l’aise dans nos pantalons de toile et nos chemises à manches courtes – comme deux touristes –, passant devant les vendeurs à la peau sombre qui proposaient leurs coquillages, leurs poupées de chiffon, leurs petits tambours d’acier et autres souvenirs. Comme l’île paraissait jolie. Ses collines boisées étaient parsemées de petites habitations et les immeubles plus importants de la ville de Saint-George étaient massés sur la falaise abrupte à l’extrême gauche, par-delà le tournant du quai. Tout ce paysage avait une coloration presque italienne, avec tous ces murs sombres et rougeâtres et les toits rouillés en tôle ondulée à qui le brûlant soleil donnait un air trompeur de tuiles. Cela semblait un endroit charmant à explorer – une autre fois.

Il faisait frais dans ce café sombre où il n’y avait que quelques tables peintes dans des couleurs vives et quelques chaises. David commanda des bouteilles de bière fraîche et, quelques minutes plus tard, Jake entra d’un pas nonchalant – portant le même short kaki et le même polo blanc – et choisit soigneusement une place d’où il pourrait surveiller la porte ouverte. Dehors le monde semblait n’être qu’eau étincelante. La bière avait un goût de malt plutôt agréable.

« Bon, c’est fait », dit Jake à voix basse, le visage plutôt crispé et l’air distrait comme s’il était plongé dans ses pensées. Il but une gorgée de la canette de bière, puis glissa à travers la table deux clés vers David. « Il y a plus de mille passagers à bord. Personne ne remarquera que Mr. Éric Sampson n’est pas revenu. La cabine est petite, ne donnant pas sur la mer comme vous l’avez demandé, mais sur une coursive, au milieu du navire, pont cinq, comme vous le savez.

— Parfait. Et vous vous êtes procuré deux jeux de clés. Excellent.

— La malle est ouverte, avec la moitié de son contenu étalé sur le lit. Vos pistolets sont à l’intérieur des deux livres dans la malle. J’ai évidé moi-même les pages. Les verrous sont là-bas. Vous devriez pouvoir fixer sans mal le plus gros à la porte, mais je ne sais pas si le personnel sera très content de voir ça. Une fois de plus, je vous souhaite bonne chance. Oh ! et vous avez entendu la nouvelle à propos du cambriolage ce matin sur la colline ? On dirait que nous avons un vampire à Grenade. Vous devriez peut-être envisager de rester ici, David. Ça m’a l’air d’être tout à fait votre tasse de thé.

— Ce matin ?

— À trois heures. Juste là-haut sur la falaise. La grande maison d’une riche Autrichienne. Tout le monde a été massacré. Un sacré gâchis. On ne parle que de ça sur l’île. Bon, il faut que j’y aille. »

Ce fut seulement quand Jake nous eut laissés que David reprit la parole. « Ça n’est pas bon, Lestat. Nous étions dehors sur la plage à trois heures ce matin. S’il a perçu même un reflet de notre présence, peut-être n’est-il plus à bord. Ou peut-être nous attendra-t-il quand le soleil sera couché.

— Il était bien trop occupé ce matin, David. D’ailleurs, s’il avait senti notre présence, il aurait fait un feu de joie de notre petite chambre. À moins qu’il ne soit pas capable de faire ce genre de choses, mais nous n’avons aucun moyen de le savoir. Embarquons sur ce maudit bateau. J’en ai assez d’attendre. Tenez, il commence à pleuvoir. »

Nous rassemblâmes nos bagages, y compris la monstrueuse valise en cuir que David avait apportée de La Nouvelle-Orléans et nous nous hâtâmes vers la chaloupe. Maintenant que la pluie commençait vraiment à tomber, une foule de fragiles mortels d’un certain âge semblait surgir de partout – des taxis, des abris voisins et des boutiques –, et il nous fallut quelques minutes pour nous embarquer sur l’instable petite chaloupe et trouver une place sur le banc de plastique humide.

Sitôt que le canot eut tourné sa proue vers le Queen Elizabeth II, j’éprouvai une grisante excitation : c’était amusant de voguer sur cette mer chaude dans une si petite embarcation. J’étais ravi quand nous prîmes de la vitesse.

David, lui, était très tendu. Il ouvrit son passeport, lut pour la vingt-septième fois les renseignements qui y figuraient, puis le rangea. Nous avions revu nos identités ce matin après le petit déjeuner, mais en espérant que nous n’aurions jamais à en utiliser les divers détails.

Ainsi, le docteur Stocker était retraité et en vacances dans les Caraïbes, mais très inquiet à propos de son cher ami Jason Hamilton, qui voyageait dans la suite Reine Victoria. Il avait hâte de voir Mr. Hamilton, et il en ferait part aux stewarts de cabine tout en les prévenant bien de ne pas laisser Mr. Hamilton deviner son inquiétude.

J’étais simplement un ami qu’il avait rencontré à l’hôtel la veille au soir et dont il avait fait connaissance puisque nous étions tous les deux passagers du Queen Elizabeth II. Il ne devait y avoir aucun autre lien entre nous, car James se retrouverait dans ce corps-ci une fois l’échange effectué, et David pourrait avoir à dire sur lui des choses déplaisantes au cas où on ne parviendrait pas à contrôler notre Voleur de Corps.

Nous avions d’autres détails, si jamais on nous interrogeait sur une querelle qui pourrait surgir. Dans l’ensemble, nous ne pensions pourtant pas que notre plan pouvait aboutir à ce genre de situations.

La chaloupe arriva enfin auprès du navire, accostant devant une large ouverture au milieu même de l’immense coque bleue. Vu sous cet angle, le paquebot paraissait ridiculement énorme ! J’en avais vraiment le souffle coupé.

Je ne fis même pas attention quand nous tendîmes nos billets aux membres de l’équipage qui nous attendaient. On apporterait nos bagages dans nos cabines. On nous donna quelques indications sur la façon d’atteindre le pont des signaux, puis nous nous retrouvâmes à errer dans une coursive sans fin, très basse de plafond, et bordée de chaque côté d’une porte après l’autre. Il nous suffit de quelques minutes pour nous apercevoir que nous étions complètement perdus.

Nous continuâmes à marcher jusqu’au moment où nous débouchâmes soudain devant une grande salle à laquelle on accédait en descendant quelques marches et où trônait, étrange spectacle, un piano à queue blanc, posé sur ses trois pieds comme pour un concert, et cela au fond même des entrailles de ce paquebot !

« C’est le hall central, dit David, en désignant un grand plan en couleurs du navire encadré sur le mur. Maintenant je sais où nous sommes. Suivez-moi.

— Comme tout cela est absurde, dis-je, en contemplant la moquette de couleur vive, les chromes et le plastique que j’apercevais partout où je posais les yeux. Comme tout cela est synthétique et hideux.

— Chut, les Anglais sont très fiers de ce navire, vous allez vexer quelqu’un. On ne peut plus utiliser de bois à cause des règlements d’incendie. » Il s’arrêta devant un ascenseur et pressa le bouton. « Voilà qui va nous conduire au pont des embarcations. N’est-ce pas par là que nous devons trouver le gril ?

— Je n’en ai aucune idée », dis-je. J’entrai comme un zombie dans l’ascenseur. « C’est inimaginable !

— Lestat, il y a des paquebots géants comme celui-ci depuis le début du siècle. Vous avez vraiment vécu dans le passé. »

Le pont des embarcations me fit découvrir tout une série de merveilles. Le navire abritait un grand théâtre ainsi que toute une mezzanine d’élégantes boutiques. En dessous, il y avait une piste de danse avec une petite estrade pour l’orchestre et un vaste bar avec des tables basses et de gros et confortables fauteuils de cuir. Les boutiques étaient fermées puisque le bateau était au port, mais on pouvait facilement distinguer ce qu’elles proposaient à travers les légers grillages qui en assuraient la fermeture. De somptueuses toilettes, de superbes bijoux, de la porcelaine, des vestes de smoking noir et des chemises à plastron, des souvenirs et des cadeaux s’étalaient dans les vitrines.

Partout il y avait des passagers qui se promenaient – pour la plupart des hommes et des femmes très âgées en tenue de plage légère, et beaucoup étaient rassemblés dans le calme du bar éclairé par la lumière du jour.

« Venez, voici les cabines », fit David en m’entraînant.

Apparemment, les appartements de luxe du pont supérieur, vers lesquels nous nous dirigions, étaient un peu à l’écart. Nous dûmes nous glisser par le gril, un restaurant tout en longueur et réservé aux passagers du pont supérieur, puis trouver un ascenseur plus ou moins secret pour nous mener jusqu’à nos cabines. Le restaurant avait de très grandes baies vitrées, par lesquelles on découvrait les admirables eaux bleues et le ciel.

Tout cela, pour les traversées transatlantiques, était du domaine des premières classes. Ici, dans les Caraïbes, on ne le précisait pas, même si le bar et le restaurant séparaient cette partie du reste de ce petit monde flottant.

Nous débouchâmes enfin sur le plus long pont du navire et nous prîmes un couloir décoré avec plus de raffinement que ceux d’en bas. Les lampes en plastique et les charmantes moulures des portes avaient un petit air art déco. L’éclairage aussi était plus généreux et plus gai. Un aimable stewart – un homme d’une soixantaine d’années – émergea d’une petite cuisine fermée par un rideau et nous conduisit jusqu’à nos suites presque au bout de la coursive.

« Où est la suite Reine Victoria ? » demanda David.

Le steward répondit aussitôt avec le même accent très britannique que la suite Victoria n’était qu’à deux cabines plus loin. Il en désigna la porte.

Je sentis en la regardant mes cheveux se hérisser sur ma nuque. Je savais, j’avais l’absolue certitude que le misérable était à l’intérieur. Pourquoi se donnerait-il le mal de chercher une cachette plus difficile ? On n’avait pas besoin de me le dire : nous trouverions dans cette suite une grande malle posée contre la cloison. Je me rendais vaguement compte que David déployait toute son autorité et tout son charme sur le steward, pour expliquer qu’il était médecin et qu’il comptait bien aller voir son cher ami Jason Hamilton sitôt qu’il le pourrait. Mais il ne voulait pas inquiéter ce dernier.

Bien sûr que non, dit l’aimable stewart, qui précisa que Mr. Hamilton dormait toute la journée. À vrai dire, il dormait actuellement dans sa cabine. Il n’y avait qu’à regarder la pancarte « prière de ne pas déranger » accrochée au bouton de porte. Enfin, ne voulions-nous pas nous installer ? Justement nos bagages arrivaient.

Nos cabines me surprirent. J’eus un aperçu des deux quand on ouvrit les portes et avant de me retirer dans la mienne.

Une fois de plus, je repérai des matériaux synthétiques, une abondance de matière plastique et l’absence totale de la chaleur du bois. Les pièces étaient spacieuses, manifestement luxueuses et une porte communicante permettait d’en faire une suite grandiose. Porte qui était pour l’instant fermée.

Chaque cabine était meublée de façon identique, à part de légères différences de couleur et, comme les chambres d’hôtel modernes, on y trouvait des lits bas gigantesques, avec des couvre-lits dans les tons pastel et d’étroites coiffeuses aménagées entre des parois de miroirs. Il y avait là le poste de télévision géant de rigueur, le réfrigérateur habilement dissimulé et même un petit coin salon avec un canapé tapissé de couleur pâle, une table basse et un fauteuil de cuir.

La vraie surprise, toutefois, c’étaient les vérandas. Un grand mur de verre avec des portes coulissantes donnait sur ces petites terrasses privées assez grandes pour y loger une table et des fauteuils. Quel luxe c’était de s’avancer dehors pour venir s’accouder au bastingage et contempler cette île ravissante et sa baie aux eaux étincelantes. Et, bien sûr, cela signifiait que la suite Reine Victoria devait avoir une véranda par laquelle le soleil matinal brillerait de tout son éclat !

Je ne pus m’empêcher de rire en me souvenant de nos vieux vaisseaux du dix-neuvième siècle avec leurs minuscules hublots. Et même si je n’appréciais guère les couleurs pâles et sans âme du décor et l’absence totale de toute surface en matériaux naturels, je commençais à comprendre pourquoi James avait toujours été fasciné par ce petit univers très spécial.

Pendant ce temps, j’entendais distinctement David bavarder avec le steward, l’accent britannique semblant s’aiguiser quand il répondait à l’autre, leur débit devenant si rapide que je n’arrivais pas à suivre complètement ce qui se disait.

Tout cela, semble-t-il, concernait ce pauvre Mr. Hamilton qui était souffrant ; le docteur Stoker tenait beaucoup à se glisser dans sa cabine pour l’examiner pendant son sommeil, mais le steward n’osait pas permettre une chose pareille. En fait, le docteur Stoker souhaitait avoir une clé de la suite, de façon à pouvoir surveiller de très près son patient au cas où…

Peu à peu, en défaisant ma valise, je compris que cette petite conversation, avec toute son exquise politesse, évoluait vers le problème d’un pourboire. David finit par déclarer de la façon la plus courtoise et la plus aimable qu’il comprenait fort bien l’embarras de son interlocuteur et, tenez, il voulait que ce brave homme s’en allât dîner à ses frais la première fois que le navire toucherait au port Et si les choses tournaient mal et si Mr. Hamilton n’était pas content, eh bien, David en assumerait l’entière responsabilité. Il raconterait qu’il avait pris la clé dans la cuisine. Le steward ne serait en rien impliqué.

La bataille semblait gagnée. David paraissait utiliser son pouvoir quasi hypnotique de persuasion. Il s’ensuivit pourtant quelques banalités polies et fort convaincantes sur la gravité de l’état de Mr. Hamilton, sur la façon dont le docteur Stoker avait été envoyé par la famille pour s’occuper de lui et combien il tenait à jeter un coup d’œil à la peau du malade. Eh oui ! la peau. À n’en pas douter le steward en conclut à une affection qui mettait en péril la vie du patient.

Il finit par avouer que tous les autres stewards étaient en train de déjeuner, que pour l’instant il était seul sur le pont supérieur et que, ma foi oui, il tournerait le dos si le docteur Stoker était absolument certain…

« Mon cher, je prends la responsabilité de tout. Tenez, il faut que vous preniez cela pour tout le mal que vous vous êtes donné. Vous irez dîner dans un agréable… Non, non, ne protestez pas. Maintenant laissez-moi faire. »

Quelques secondes plus tard, l’étroite coursive était déserte. Avec un petit sourire de triomphe, David me fit signe de sortir pour le rejoindre. Il brandissait la clé de la suite Reine Victoria. Nous traversâmes le passage et il introduisit la clé dans la serrure. L’appartement était immense et aménagé sur deux niveaux séparés par quatre ou cinq marches recouvertes de moquette. Le lit était au niveau inférieur et il était très en désordre, avec les oreillers gonflant les couvertures pour donner l’impression que quelqu’un dormait à poings fermés, enfoui sous les draps.

Le niveau supérieur abritait le salon avec les portes donnant sur la véranda, dont on avait tiré les lourdes tentures si bien qu’il ne filtrait presque aucune lumière. Nous nous glissâmes et allumâmes le plafonnier après avoir refermé la porte. Les oreillers entassés sur le lit constituaient une excellente ruse pour quelqu’un qui passerait la tête par la porte de la coursive mais, en y regardant de près, cela ne faisait guère illusion. On aurait simplement dit un lit en désordre.

Où donc était cette canaille ? Où était la malle ?

« Ah ! là-bas, chuchotai-je. De l’autre côté du lit. » Je l’avais prise pour une sorte de table, car elle était entièrement drapée d’un tissu décoratif. Je m’apercevais maintenant qu’il s’agissait d’une grande malle de cabine en métal noir, avec des serrures en cuivre bien astiquées et largement assez spacieuse pour qu’un homme pût s’y loger, les genoux pliés et couché sur le côté. L’épais tissu qui la recouvrait était sans nul doute maintenu en place sur le couvercle avec un peu de colle. J’avais souvent jadis utilisé moi-même ce truc-là.

Tout le reste était absolument immaculé, et les penderies regorgeaient littéralement de superbes vêtements. Une fouille rapide des tiroirs de la commode, et de la coiffeuse ne révéla aucun document important. C’était manifestement sur sa personne qu’il avait les quelques papiers dont il avait besoin et cette personne était dissimulée à l’intérieur de la malle. Au premier abord, il n’y avait ni bijoux ni or caché dans la pièce, mais nous découvrîmes la pile d’enveloppes timbrées d’avance que le misérable utilisait pour se débarrasser des trésors volés, et elles étaient grandes et matelassées.

« Cinq boîtes postales », dis-je après les avoir examinées. David nota tous les numéros dans son petit calepin relié de cuir, puis le remit dans sa poche et inspecta la malle.

Je le prévins en chuchotant de faire attention. La canaille peut sentir le danger même dans son sommeil. Il ne fallait pas songer à toucher la serrure.

David acquiesça. Il s’agenouilla sans bruit auprès de la malle, colla doucement l’oreille contre le couvercle puis se recula précipitamment et le regarda d’un air tout excité.

« Il est bien là-dedans, dit-il, les yeux toujours fixés sur la malle.

— Qu’est-ce que vous avez entendu ?

— Les battements de son cœur. Allez écouter vous-même si vous voulez. Après tout, c’est votre cœur.

— Je veux le voir, dis-je. Écartez-vous, mettez-vous là.

— Je ne pense pas que vous devriez le faire.

— Ah, mais c’est que j’en ai envie. D’ailleurs, il faut que j’inspecte cette serrure à tout hasard. » J’approchai de la malle et je constatai en la regardant de près que la serrure n’était même pas fermée à clé. Ou bien il ne savait pas le faire par télépathie, ou bien il ne s’en était pas donné la peine. Posté de côté, je tendis la main droite et soulevai brusquement la languette de cuivre qui fermait le couvercle. Puis je le repoussai avec violence contre la cloison.

Il la heurta avec un bruit sourd, en restant ouvert, et je m’aperçus que je regardais une masse de tissu noir replié et qui dissimulait complètement le contenu de la malle. Rien ne bougeait là-dessous.

Aucune puissante main blanche ne chercha soudain à me prendre à la gorge !

Restant aussi loin que je pouvais, je tendis la main, je saisis le tissu et tirai une bonne longueur de soie noire. Mon cœur mortel battait follement et je faillis perdre l’équilibre en reculant de quelques pas. Mais le corps qui était allongé là, bien visible, les genoux repliés tout comme je l’avais imaginé et les bras croisés autour des genoux, ce corps ne bougeait pas.

Le visage hâlé était aussi immobile que celui d’un mannequin, avec ses yeux fermés et son profil familier se détachant sur le capitonnage funèbre de soie blanche. Mon profil. Mes yeux. Mon corps en tenue de soirée – un vampire en smoking, si vous voulez – avec une chemise blanche à plastron et un nœud papillon noir au cou. Mes cheveux, abondants et dorés dans la pénombre.

Mon corps !

Et moi, planté là dans ma tremblante enveloppe mortelle, avec cette pièce de soie noire pendant au bout de ma main tremblante comme la cape d’un matador.

« Vite ! » souffla David.

Au moment même où ses lèvres prononçaient ces syllabes, je vis le bras replié dans la malle commencer à bouger. Le coude se crispa. La main glissait le long du genou plié. Je rejetai aussitôt le tissu sur le corps et je le vis reprendre comme tout à l’heure son rôle de couverture. Alors, d’un geste preste de mes doigts de la main gauche, je tirai sur le couvercle qui se referma avec un choc sourd.

Dieu merci, le tissu qui recouvrait la malle ne se coinça pas mais retomba en place, masquant le fermoir. Je reculai, presque malade de peur et de surprise et je sentis alors la pression rassurante de la main de David sur mon bras.

Nous restâmes tous les deux là un long moment sans rien dire, jusqu’à ce que nous fussions certains que le corps surnaturel était de nouveau en repos.

J’avais fini par recouvrer assez mes esprits pour jeter encore un calme coup d’œil. Je tremblais toujours, mais j’étais fortement excité par la tâche qui m’attendait.

Même avec tous ces matériaux synthétiques, ces appartements étaient tout à fait somptueux. Ils représentaient le genre de luxe que seuls très peu de privilégiés peuvent connaître. Comme il avait dû s’en délecter. Il n’y avait qu’à regarder toutes ces magnifiques tenues de soirée. Des vestes de smoking en velours noir, ainsi que d’autres d’un style plus classique, et même une cape : il ne s’était rien refusé. Le plancher de la penderie était jonché de chaussures vernies et toute une collection de liqueurs coûteuses s’étalait sur le bar.

Entraînait-il les femmes ici pour prendre un verre tandis qu’il leur soutirait quelques petites gorgées de sang ?

Je regardai la grande paroi vitrée, très visible à cause du rai de lumière qui filtrait au bord supérieur et inférieur des tentures. Je m’aperçus seulement alors que cette cabine était exposée au sud-est.

David me serra le bras. N’était-il pas prudent maintenant de partir ?

Nous quittâmes aussitôt le pont supérieur sans rencontrer de nouveau le steward. David avait la clé dans la poche de son veston.

Nous descendîmes alors au pont cinq, qui était le tout dernier pont de cabines, mais pas le dernier du paquebot, et nous découvrîmes la petite cabine de Mr. Éric Sampson, qui n’existait pas, et où une autre malle attendait d’être occupée par ce corps endormi là-haut quand j’en aurais repris possession.

Charmante petite pièce sans hublot. Bien sûr, elle avait la serrure habituelle, mais où étaient passées les autres, que, sur notre demande, Jake avait introduites à bord ?

Elles étaient beaucoup trop encombrantes. Je m’aperçus qu’on pouvait toutefois rendre la porte absolument infranchissable à condition de pousser la malle contre le montant. Voilà qui tiendrait à l’écart tout steward gênant, ou même James, s’il parvenait à rôder dans les parages après l’échange. Il serait tout à fait incapable d’ouvrir cette porte. En fait, si je coinçais la malle entre elle et l’extrémité de la couchette, personne ne pourrait la bouger. Parfait. Voilà donc encore un élément du plan qui était au point.

Il fallait maintenant préparer un itinéraire depuis la suite Reine Victoria jusqu’à ce pont-ci. Comme des plans du navire étaient accrochés dans chaque petit hall et vestibule, cela ne posait aucun problème.

Je compris tout de suite que l’escalier A était le meilleur chemin. Peut-être était-ce le seul à aller directement jusqu’au pont cinq. À peine arrivé en bas, j’eus la certitude que ce ne serait rien pour moi que de sauter d’en haut jusque-là par la cage d’escalier. Il me fallait maintenant grimper jusqu’au pont-promenade et voir comment y parvenir depuis le pont supérieur.

« Ah, faites donc cela, mon jeune ami, dit David. Moi, je prends l’ascenseur pour monter ces huit étages. »

Quand nous nous retrouvâmes dans le calme du gril, j’avais prévu chaque étape. Nous commandâmes des gin-tonic – une boisson que je trouvais à peu près tolérable – et nous passâmes en revue le plan tout entier dans ses derniers détails.

Nous attendrions cachés toute la nuit jusqu’au moment où James aurait décidé de se retirer à l’approche du jour. S’il rentrait tôt, nous attendrions le moment crucial avant de foncer sur lui en relevant le couvercle de sa malle.

David aurait le Smith and Wesson braqué sur lui tandis que nous nous efforcerions tous les deux de faire sortir son esprit du corps, après quoi je me précipiterais à l’intérieur. Tout devait être synchronisé. Il sentirait le danger de la lumière du soleil et saurait qu’il ne pouvait absolument pas rester dans son corps de vampire ; il ne faudrait pas lui laisser l’occasion de nous blesser l’un ou l’autre.

Si le premier assaut échouait et qu’une discussion s’ensuivait, nous lui expliquerions clairement combien sa situation était précaire. S’il essayait de nous détruire l’un ou l’autre, nos cris et nos hurlements ne tarderaient pas à faire accourir des secours. Si nous nous retrouvions avec un cadavre, il resterait dans la cabine de James. Où donc à la onzième heure James chercherait-il refuge ? Sans doute ne savait-il pas combien de temps il pouvait rester conscient tandis que le soleil se levait. C’était même certain qu’il n’avait jamais poussé les choses jusqu’à la limite, comme je l’avais fait plus d’une fois.

Assurément, étant donné son désarroi, une seconde attaque serait couronnée de succès. Tandis que David garderait le gros revolver braqué sur le corps mortel de James, je me précipiterais avec une vivacité surnaturelle par la coursive du pont supérieur, j’emprunterais alors l’escalier intérieur jusqu’au pont d’en bas, je le traverserais d’un bout à l’autre en courant, je déboucherais de l’étroite coursive dans une autre plus large, derrière le gril où je trouverais le haut de l’escalier A ; je ferais un saut de huit étages jusqu’au pont cinq, je m’engouffrerais dans le couloir, j’entrerais dans la petite cabine intérieure et je fermerais la porte au verrou. Je n’aurais plus qu’à pousser la malle entre le lit et la porte et je m’y introduirais en rabattant le couvercle.

Même si je rencontrais sur mon chemin une horde de mortels qui traînaient par là, tout cela ne me prendrait pas plus de quelques secondes et, pendant presque tout ce temps, je serais en sûreté à l’intérieur du bateau, protégé de la lumière du soleil.

James – de retour dans cette enveloppe mortelle et, à n’en pas douter, furibond – n’aurait pas la moindre idée de l’endroit où j’étais allé. Même s’il maîtrisait David, il ne parviendrait certainement pas à repérer ma cabine sans une fouille prolongée qu’il n’aurait pas les moyens d’entreprendre. Et David lancerait à ses trousses le personnel de sécurité du bord en l’accusant de toute sorte de crimes abominables.

David, bien sûr, n’avait pas l’intention de se laisser maîtriser. Il garderait le puissant Smith and Wesson braqué sur James jusqu’au moment où le paquebot accosterait à la Barbade, et il escorterait alors l’homme jusqu’à la passerelle en l’invitant à débarquer. David monterait alors la garde pour s’assurer que James ne revenait pas. Au coucher du soleil, j’émergerais de la malle pour retrouver David et nous savourerions de concert la navigation de nuit jusqu’à l’escale suivante.

David se renversa dans son fauteuil vert pâle, à boire ce qui restait de son gin-tonic, en réfléchissant manifestement à notre plan.

« Vous comprenez, bien sûr, que je ne peux pas exécuter cette petite canaille, dit-il. Avec ou sans revolver.

— Ma foi, vous ne pouvez pas le faire à bord, c’est certain, dis-je. On entendrait le coup de feu.

— Et s’il s’en rend compte ? Et s’il cherche à m’arracher l’arme ?

— Alors il se trouve dans la même situation. Il est sûrement assez malin pour comprendre cela.

— Je l’abattrai si j’y suis obligé. C’est la pensée qu’il peut lire en moi avec tous ses dons psychiques. Je le ferai si j’y suis contraint. Ensuite, je lancerai les accusations qu’il faut : il essayait de cambrioler votre cabine ; je vous attendais quand il y a pénétré.

— Écoutez, et si nous procédions à cet échange assez tôt avant le lever du soleil pour que je puisse le précipiter par-dessus bord ?

— Impossible. Il y a des officiers et des passagers partout. Quelqu’un ne manquera pas de le voir et ce sera « Un homme à la mer » et la pagaille partout.

— Bien sûr, je pourrais lui briser le crâne.

— Il faudrait alors que je cache le corps. Non, espérons que ce petit monstre se rendra compte de la chance qu’il a et qu’il descendra à terre sans faire d’histoire. Je ne veux pas avoir à… Je n’aime pas l’idée de…

— Je sais, je sais, mais vous pourriez tout simplement le fourrer dans cette malle. Personne ne le trouverait.

— Lestat, je ne veux pas vous effrayer, mais nous avons d’excellentes raisons pour ne pas essayer de le tuer ! Il vous a exposé lui-même ces raisons. Vous ne vous souvenez pas ? Menacez ce corps-là et il en sortira pour tenter un nouvel assaut. À vrai dire, nous ne lui laisserions pas le choix. Et nous prolongerions la lutte psychique au plus mauvais moment possible. Il n’est pas inconcevable qu’il puisse suivre votre trace jusqu’au pont cinq et qu’il essaie de se réintroduire dans votre corps. Bien sûr, il serait stupide de le faire sans disposer d’une cachette. Imaginez qu’il en ait une de rechange. Pensez à cela.

— Vous avez sans doute raison.

— Et nous ne connaissons pas l’étendue de ses dons psychiques, dit-il. Nous ne devons pas oublier non plus que c’est sa spécialité : l’échange de corps et la possession ! Non. N’essayez pas de le noyer ni de l’assommer. Laissez-le réintégrer cette enveloppe mortelle. Je garderai le revolver braqué sur lui jusqu’à ce que vous ayez eu le temps de disparaître de la scène, et lui et moi aurons une petite conversation sur ce qui l’attend.

— Je comprends.

— Alors, si je dois quand même l’abattre, très bien. Je le ferai. Je le mettrai dans la malle en espérant que personne n’entende la détonation. Qui sait ? Ce serait possible.

— Mon Dieu, je vous laisse avec ce monstre, vous vous rendez compte ? David, pourquoi ne pas nous attaquer à lui sitôt le soleil couché.

— Non. Absolument pas. Cela voudrait dire une lutte psychique totale ! Et il peut s’accrocher suffisamment à son corps pour prendre son vol et nous laisser tout bonnement à bord de ce bateau qui sera en mer toute la nuit. Lestat, j’ai réfléchi à tout cela. Chaque détail du plan est crucial. Nous voulons le surprendre au moment où il est le plus faible, juste avant l’aube, avec le bateau sur le point d’accoster si bien que, dès l’instant où il aura regagné son corps mortel, il pourra débarquer tout content. Il faut que vous me fassiez confiance : je saurai maîtriser ce gaillard. Vous ne savez pas à quel point je le méprise ! Si vous vous en doutiez, peut-être ne vous inquiéteriez-vous pas le moins du monde.

— Soyez certain que je le tuerai quand je le retrouverai.

— Raison de plus pour qu’il débarque de son plein gré. Il voudra avoir de l’avance et je lui conseillerai de faire vite.

— La chasse au gros gibier. Je sens que je vais adorer cela. Je le retrouverai. Même s’il se cache dans un autre corps. Quel merveilleux jeu cela va être. »

David resta un moment silencieux.

« Lestat, il y a évidemment une autre possibilité…

— Laquelle ? Je ne vous comprends pas. »

Il détourna les yeux comme s’il cherchait à choisir les mots justes. Puis il me regarda droit dans les yeux. « Nous pourrions détruire cette créature, vous savez.

— David, vous êtes fou de même envisager… ?

— Lestat, à nous deux nous pourrions y parvenir. Il y a des moyens. Avant le coucher du soleil, nous pourrions détruire ce monstre et vous seriez…

— N’en dites pas plus ! » J’étais furieux. Quand je vis la tristesse sur son visage, l’inquiétude, le désarroi moral évident, je poussai un soupir, je me rassis et je pris un ton plus doux. « David, dis-je, je suis Lestat le Vampire. C’est mon corps. Nous allons le récupérer pour moi.

Pendant un moment, il ne répondit pas, puis il hocha longuement la tête et dit dans un murmure : « Oui. Exact. »

Un silence s’abattit entre nous, durant lequel je me mis à passer en revue chaque étape du plan.

Quand je relevai les yeux vers lui, il semblait tout aussi songeur, plongé même dans de profondes réflexions.

« Vous savez, dit-il, je crois que tout ira sans accroc. Surtout quand je me souviens de la façon dont vous me l’avez décrit dans ce corps-ci. Gauche, emprunté. Et, bien sûr, nous ne devons pas oublier quel genre d’humain il est : son âge véritable, sa façon classique d’opérer, pour ainsi dire. Hmmm. Il ne va pas m’arracher ce revolver des mains. Oui, je crois vraiment que tout va se passer comme prévu.

— Moi aussi, dis-je.

— Et, ajouta-t-il, tout bien considéré, ma foi, c’est notre seule chance ! »

Le Voleur de Corps
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